le végétarisme en Grèce antique

Le premier article de cette chronologie débute avec la civilisation grecque et le végétarisme politique des pythagoriciens...

 

 Lorsque l'homme se sédentarisa et bâtit les fondations de notre civilisation actuelle, les animaux remplirent très tôt une fonction nutritionnelle, d’apport de matières premières (os, cuir, laine), puis d'aide au travail, quand le labour se développa avec la maitrise du métal forgé. La consommation de viande, qui nécessite dans un premier temps la pratique de la chasse, facilitée par un commun effort, a permis de rapprocher les hommes, qui s’organisèrent en société. « Les groupes de primates qui vivaient en pratiquant un vagabondage alimentaire plus ou moins individuel dans la forêt tropicale, s’organisent en société dans la savane, où la chasse du gros gibier nécessite la collaboration d’une équipe. Après le meurtre, s’opère le partage. L’abondance soudaine de chair est l’occasion de festins commensaux, une nouvelle convivialité se fait jour. Même les agriculteurs-éleveurs, plus tard, seront assujettis au commensalisme alimentaire. La tribu, le groupe, cultivent, élèvent, se solidarisent et se socialisent pour organiser la défense de la récolte et du cheptel. Au nouvel ordre alimentaire correspond un nouvel ordre social et de nouvelles formes de contrôle1 ». La consommation d’animaux est donc un élément important du fonctionnement des sociétés autour duquel s’est créé une socialisation et des rites de partage. Ces rites de partage se retrouvent également dans les fondements de la vie politique chez les grecs de l’Antiquité.

Céramique grecque représentant le sacrifice d'un sanglier, musée du Louvre
Céramique grecque représentant le sacrifice d'un sanglier, musée du Louvre

C'est dans l'antiquité grecque également que remonte la première forme de végétarisme, parmi la « secte pythagoricienne ». Pythagore et ses disciples promouvaient le végétarisme sous une forme particulière, plus ou moins stricte. Pour comprendre ce phénomène, il faut le rapprocher des pratiques sacrificielles grecques, à vocation alimentaire et politique car « on ne peut normalement manger de la viande qu’à l’occasion et suivant les règles du sacrifice2 ». Le végétarisme était utilisé comme arme politique, pour s’opposer au partage de la responsabilité du meurtre alimentaire. La société grecque sacrifiait des animaux pour honorer les dieux et partageait ensuite les parties de l’animal selon une hiérarchie sociale déterminée. Les os étaient offerts aux dieux ; le sang et les abats étaient la part des prêtres ; les chairs et le muscle revenaient aux hommes. L’abattage de l’animal était considéré comme un sacrifice ; il était fait selon des principes données, suivant un rituel : la viande était considérée comme sacrée, comme de la nourriture sacrificielle. Le partage de la viande entre les hommes suivait des règles précises et mettait en scène un système hiérarchique entre les citoyens. En refusant alors la consommation de viande par l’adoption du végétarisme, Pythagore se met en marge de la société, refuse l’organisation sociale et le partage de la responsabilité du meurtre. « Refuser de manger de la viande n’est pas seulement se conduire autrement que les autres ; c’est décider de ne pas accomplir l’acte le plus important de la religion politique. Ce soi-disant végétarisme est une manière singulièrement efficace de "renoncer au monde"3 ».

Buste de Pythagore, musée Capitolini
Buste de Pythagore, musée Capitolini

Le végétarisme pythagoricien ne se basait pas uniquement sur « le respect de la vie sous toutes ses formes4 ». Les historiens se contredisent, preuves historiques à l’appui, sur le végétarisme des pythagoriciens car ils leur arrivaient de manger de la viande. On peut alors identifier deux positions concernant le végétarisme, qui opposent un « végétarisme strict et une conception plus lâche qui organise le champs du carné et du non carné sur d’autres critères que le simple meurtre5 ». La première conception a une base ascétique, où la viande et le sang, y compris les sacrifices sanglants, sont refusés : on peut y voir une recherche de mise à l’écart du monde, de purification de l’âme ou d’un rapprochement avec les dieux6. La deuxième conception, pratiquée par des citoyens plus mondains, engagés politiquement dans la réforme de la cité, était moins stricte, ne se basait pas sur la non-consommation formelle de toute viande. Le bœuf et le mouton incarnaient les valeurs de la nourriture carnée et, à ce titre, n’étaient pas consommés. Leur refus de l’abattage suffisait à considérer ces pythagoriciens comme végétariens. Leur vie était épargnée car ces animaux avaient une utilité sociale, le bœuf‑laboureur pour sa force de travail et le mouton pour sa laine et son lait. Les animaux alors sacrifiés et consommés, la chèvre et le porc, l’étaient en vertu de leur culpabilité d’avoir « brouté la vigne de Dionysos et […] saccagé la moisson de Déméter7 ». Les grecs avaient également mis en place un système pour réguler l’alimentation, via le système diététique d'Hippocrate, qui différencie les aliments en quatre catégories, chaud et froid, sec et humide.


1 Jean-Pierre POULAIN (1985), Anthroposociologie de la cuisine et des manières de table, thèse de doctorat en sociologie, Université de Paris VII, éditée par l’atelier de reproduction des thèses Université de Lille, p. 329.

2 Marcel DÉTIENNE, Jean-Pierre VERNANT (1979), La cuisine du sacrifice en pays grec, Gallimard, 1990, Paris, p. 44. 

3 Ibid. p. 14.

4 Ibid. p. 13.

5 Jean-Pierre POULAIN (1985), Op. cit. p. 335.

6 Laurence OSSIPOW (1997), La cuisine du corps et de l'âme : approche ethnologique du végétarisme, du crudivorisme et de la macrobiotique en Suisse, Maison des Sciences de l'Homme, Paris, p. 59.

7 Marcel DÉTIENNE, Jean-Pierre VERNANT (1979), Op. cit. p. 15.

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0