Le végétarisme en Asie

Chronologiquement parlant, le végétarisme indien aurait pu être placé avant la Grèce antique. Des traces de civilisation en Inde sont en effet antérieures à la civilisation grecque, et il se pourrait que des penseurs, comme Pythagore ou Socrate, aient été influencé par la civilisation indienne de l'époque.


Le végétarisme en Inde

Tout comme dans la Grèce antique, on retrouve également une pratique végétarienne – ainsi qu’une pratique diététique avec l’Âyurveda – dans l’Inde antique parmi les hindouistes. Cette autre religion polythéiste préchrétienne a fait de la vache un symbole sacré, du fait de l’utilisation de son lait pour des pratiques divinatoires et sacrificielles. De nos jours, l’Inde est hindouiste à 83 %, compte 20 % de végétaliens et « 41 % de la population ne consomment pas de viande, 75 à 80 % ne mangent pas de bœuf1 ». Les vaches sont sacrées : il est interdit de les tuer, de les maltraiter, voire de les toucher (ce qui entraîne parfois des encombrements des voies routières en ville). Cet animal joue un rôle central dans la société indienne, aussi bien sur le plan symbolique que sur le plan économique : la vache est utilisée pour sa force mécanique, son urine comme médecine et sa bouse est recyclée en combustible ou engrais. La sacralité de la vache provient aussi de l’importance du lait et de ses produits dérivés – dont la vache est l’unique pourvoyeur – dans les mythes cosmogoniques indiens.

Lait versé en offrande dans le golfe du Bengal
Lait versé en offrande dans le golfe du Bengal

Avant la création de l’univers (sans la théorie scientifique du Big Bang), les indiens se représentent l’univers comme un océan de lait2. Les dieux ont crée la vie à partir de cet élément primordial après l’avoir mélangé : le mythe du barattage, qui donne son importance au ghee, un beurre clarifié, explique la création de la vie, la naissance d’énergies individualisées, des idées, des divinités et des incarnations. L’alimentation revêt un caractère sacré en Inde du fait de la croyance aux incarnations, au souffle vital qui « n’est qu’une manifestation de l’esprit3 ». Les aliments sont considérés comme une offrande, un sacrifice fait aux dieux, aux esprits. En se donnant à manger, on nourrit également son esprit, la divinité qui est en soi, d’où l’importance des rites sur les manières de table et la notion de pollution et de pureté des aliments.


La tradition hindoue suppose aussi un système de caste qui hiérarchise la société en cinq catégories : les brahmanes - les prêtres hindouistes qui sont au sommet de cette hiérarchie - sont végétaliens. Ce régime alimentaire est adopté pour épargner les animaux, « pour ses valeurs morales, ses qualités en matière de santé […] et la pureté qui lui est associée4 ». Les castes inférieures, qui aspirent à une amélioration de leur condition dans la société, se convertissent parfois au végétarisme ou au végétalisme pour se rapprocher des pratiques brahmaniques et ainsi atténuer la discrimination dont ils peuvent être l’objet.

Vache sacrée dans une rue à New-Delhi
Vache sacrée dans une rue à New-Delhi

L’adhésion au végétarisme et le respect de la vache sacrée prennent aussi une dimension identitaire et d’appartenance : aux XIXe siècle, l’opposition au pouvoir britannique passait par les mouvements de protection de la vache. Les tensions entre musulmans et hindous sont souvent catalysées à travers la commercialisation de viande de bœuf. La communauté musulmane en Inde représente 12 % de la population et n’adhère pas au végétarisme ni au respect de la vache. Ils consomment donc du bœuf et sont en mesure d’acheter les vaches aux paysans indiens puis de les abattre. Le fonctionnement et le maintien de la société hindoue avec une forte proportion de végétariens repose en partie sur la possibilité pour les paysans de capitaliser leurs vaches en fin de vie en les vendant aux bouchers musulmans. Cette sorte de symbiose entre musulmans et hindous assure la pérennité et le maintien du végétarisme en Inde.


Le végétarisme en Asie du Sud-Est

On trouve en Asie d’autres pratiques végétariennes parmi les bouddhistes, moins strictes que chez les hindouistes. Le bouddhisme a pour principe de ne pas tuer d’animaux et d’éviter de causer toute souffrance. Cependant, ses pratiquants ne semblent pas adopter le végétarisme comme régime alimentaire constant mais ils le suivent sur certaines périodes données5. Dans le Japon ancien, pratiquant la religion animiste shinto, la viande était peu voire pas consommée. Le bouddhisme fut introduit au Japon au VIe siècle et s’en suivi une interdiction impériale sur la consommation des animaux. Cette interdiction fut plus ou moins stable au fil des siècles en fonction des invasions, colonisations et influences étrangères que connut le Japon6. Il n’en demeure pas moins que la viande est peu consommée en Asie de l’est, souvent au profit du poisson. On constate à l’heure d’aujourd’hui une mutation des pratiques du végétarisme en Chine, notamment sous l’influence de la pensée bouddhiste. Le végétarisme est préconisé pour des raisons de santé ainsi que pour améliorer le karma des individus7. Le végétarisme semble moins gagner le Japon où l’on constate une augmentation de la consommation des denrées animales, provenant de la mer surtout, suite à l’industrialisation du pays à la fin du XXe siècle.

Rizière en Indonésie
Rizière en Indonésie

Ces cultures orientales se différencient des cultures occidentales par leur mentalité et leur religiosité, de type animiste. Ces différences peuvent s’expliquer par les différences de climat, de relief ou de leur biodiversité, c'est-à-dire les contraintes du milieu pour reprendre l’expression d’André-Georges Haudricourt. Ces conditions auraient alors formées les civilisations, auraient orientées et marquées de traits caractéristiques les cultures. L’approche du géographe Pierre Gourou avance que les civilisations sont marquées par un phénomène de rétroaction entre la nature et la culture : chacune influence l’autre. Dans les choix alimentaires, ce qui compte avant tout, ce sont les techniques à la disposition des groupes humains, déterminées en amont par les techniques d’encadrement. Le développement des « civilisations du riz » n’est possible qu’avec des institutions familiales et étatiques fortes, contrôlant, disciplinant les populations. C’est la culture, le social qui détermine les choix alimentaires qui sont fait. Marshall Salhins quant à lui avance que la raison culturelle, les ordres symboliques, modèlent les choix alimentaires, et ce parfois au détriment de la raison utilitaire. L’alimentation végétale serait alors prédominante en Asie du fait de la conception traditionnellement animiste des relations entre les humains et les vivants non humains. Les animaux ne seront pas consommés, ou alors mis à mort selon un rituel, pour solutionner les impératifs dus à la croyance en l’âme. 



1 Brigitte Sébastia (2010), « Be a vegetarian ! Discours en Inde sur les bienfaits du végétarisme pour un corps pur et sain », [en ligne], [réf. du 16/11/2010], disponible sur : <http://www.lemangeur-ocha.com>.

2 Ysé Tardan-Masquelier (1994), « La bonne marche du cosmos », in Philippe Gillet et al., Mémoires lactées, Autrement, Paris, 222 p.

3 Charles Malamoud (1994), « Alimentation, pollution et pureté dans l’Inde ancienne », in Claude Fischler et al., Pensée magique et alimentation aujourd'hui, Les Cahiers de l'Ocha, n° 5, Paris, 67 p.

4 Brigitte Sébastia (2010), Op. cit.

5 Naomichi Ishige (2007), « Bouddhisme, shintoïsme, et consommation de viande animale au Japon », in Jean-Pierre Poulain et al., L'homme, le mangeur, l'animal : qui nourrit l'autre ?, Les Cahiers de l'Ocha, n°12, Paris, pp. 80-92.

6 Ibid. pp. 84-85.

7 Vincent Goossaert (2007), « Les sens multiples du végétarisme en Chine », [en ligne], [réf. du 21/04/2011], disponible sur : < http://www.lemangeur-ocha.com >.

 

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